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Podcast « Sur nos roots » : la jeunesse juive de France en quête de ses origines

Le weekend du 11 novembre 2022, s’est déroulé à Lyon un grand rassemblement de la jeunesse juive engagée en France. Organisé par le FSJU, ce séminaire NOÉ a réuni 150 responsables associatifs venus de la France entière. Elisa Azogui-Burlac et Myriam Levain, cofondatrices de Milim, ont échangé avec certains d’entre eux à l’occasion d’une masterclass sur la question de la transmission entre générations. De cette conversation, est né ce podcast de témoignages personnels sur les héritages familiaux, reflétant la diversité du judaïsme français, et les questions auxquelles est confrontée la jeune génération aujourd’hui.

Non, une biographie n’est pas posthume !

Il y a une crainte chez les personnes qui commandent la biographie d’un de leurs proches. Ils sont gênés. Ils n’osent pas leur parler tout de suite du projet. Ils reculent un peu avant de se décider. Ils cherchent par exemple le “bon moment pour en discuter”.

Derrière ces réticences, il y a la peur : en disant à l’autre “Transmets-moi ton histoire”, ils ont le sentiment de lui demander d’écrire son épitaphe. Ils se réfèrent à un futur où l’autre ne sera plus et cette démarche semble ouvrir une discussion sur la mort prochaine de la personne.

Comme si cette parole “Transmets-moi ton histoire” était performative et conduisait directement à cet “avant qu’il ne soit trop tard”qu’ils ont en tête. Comme si, finalement, la transmission ne pouvait se faire que du mort au vivant, que la mémoire ne pouvait s’écrire qu’au passé.

Alors bien entendu, dans tout travail de mémoire et de transmission, il y a l’idée de laisser une trace plus longue que nos lignes de vie. La biographie n’y échappe pas. Mais écrire une biographie n’est pas un projet posthume et chaque histoire que nous avons entendue nous conforte même à penser le contraire. C’est du vivant au vivant que se transmettent les plus belles histoires.

Le regret de nombreuses personnes que nous avons enregistrées est justement de n’avoir pas assez questionné leurs proches quand ils étaient plus jeunes. D’avoir été passifs dans cette transmission inter-générationnelle et de ne pouvoir compter aujourd’hui que sur leurs souvenirs pour transmettre à leur tour.

“J’ai le sentiment d’avoir été injuste, de pas avoir été suffisamment présent avec mes grands-parents, de ne pas avoir accordé suffisamment de place à mes parents quand c’était possible, ça me torture car c’est irrémédiable, c’est irréversible.”

Effectivement, cette parole “Transmets-moi ton histoire” est performative. Elle ouvre une nouvelle conversation avec l’autre, elle délie et délivre de certains enjeux familiaux, elle dit à l’autre “J’accepte ton récit ». Elle engage ainsi un nouveau dialogue, qui n’est d’ailleurs  jamais trop tôt à avoir.

Elisa Azogui-Burlac

« Les enfants des autres »: Transmettre sans être parent

Au cœur du nouveau film de Rebecca Zlotowski, Les Enfants des autres, il y a de nombreuses problématiques allant de la belle-maternité à la naissance d’un nouvel amour en passant par le deuil. Mais il y a une thématique qui nous est particulièrement chère chez Milim, c’est celle de la transmission. Au début du film, la protagoniste Rachel, jouée par Virginie Efira, n’est en effet ni en couple ni  mère à 40 ans, et se retrouve confrontée à la question des liens familiaux et de la transmission. Que transmet-on et à qui quand on n’est pas parent? Et quand on l’est, transmet-on pour autant?

Le film répond en partie à cette interrogation existentielle et propose plusieurs pistes. Déjà en faisant du personnage de Rachel une prof, qui suit certains élèves de plus près que d’autres et s’investit pleinement dans sa profession, centrale dans le partage des savoirs. Et comme la plupart d’entre nous, Rachel est aussi une sœur, une fille, une amante, une amie, une tante, une belle-mère… autant de rôles qui la mettent en position de léguer ce qu’elle vit et ce qu’elle sait. Car la transmission a-t-elle une autre vocation que celle de nous rassurer sur l’utilité de notre passage ainsi que sur les traces que nous laisserons ? Si la question se pose de façon plus aiguë pour une personne célibataire n’ayant pas d’enfants, elle est finalement assez universelle. La comédienne Virginie Efira, à la fois mère et en couple, dit d’ailleurs en interview que la lecture du scénario Les enfants des autres l’a renvoyée à sa propre solitude d’être humain. À cette question aussi vertigineuse que passionnante, la réalisatrice Rebecca Zlotowski, qui ne cache pas la part largement autobiographique de ce film, répond de façon lumineuse avec un film qui devrait parler au plus grand nombre.

Myriam Levain

Mémoire et filiation au cœur de la rentrée littéraire 2022

Si le prix littéraire Milim existait, nous aurions l’embarras du choix pour la sélection, tant la rentrée littéraire est riche en plumes explorant leur héritage familial. Qu’il s’agisse d’une mémoire géographique (l’Algérie de Kaouther Adimi et Emmanuel Ruben, le Liban de Sabyl Ghoussoub, le Sénégal d’Amina Richard, le Kurdistan de Mehtap Teke, la Russie de Polina Panassenko, l’Espagne de Maria Larrea…) ou d’une quête psychanalytique –Anthony Passeron, Maud Simonnot, Emma Marsantes, Sarah Jollien-Fardel, Xavier Le Clerc écrivent sur le sida, le deuil, le suicide, la maltraitance et la misère qui ont marqué leurs familles. Enfin la mémoire de la Shoah est encore vivace et se trouve au cœur des romans de Lola Lafon, Cloé Korman, Sonia Devillers et Joachim Schnerf.

La transmission familiale est un puits sans fond de création littéraire et n’a pas attendu 2022 pour s’inviter dans les pages des romans, mais toutes ces autrices et auteurs ont en commun d’aller chercher directement l’inspiration dans les bagages de leurs parents, ceux qu’ils n’ont pas réussi à ouvrir ensemble, et que la plus jeune génération est parfois lassée de trimballer. Une démarche dans laquelle nous nous reconnaissons parfaitement et qui est à l’origine même de notre société Milim: il flotte décidément dans l’air de cette rentrée un parfum d’enquête et de quête familiales.

Myriam Levain

Dans les albums de famille nazis

Les photos de famille n’en finissent pas de révéler leurs secrets, même quand ce ne sont pas les plus glorieux. La journaliste Johanna Luyssen a remonté le fil d’un cliché en noir et blanc, légendé et daté de 1945, trouvé par hasard dans une cabine téléphonique berlinoise il y a deux ans. Son enquête fait l’objet d’un article publié cette semaine dans Libération, qui revient sur les années nazies, et interroge à la fois le rapport à la mémoire collective et à la mémoire familiale.

Entre déni, loyauté et culpabilité, l’histoire des enfants Ludin prenant ce paisible bain en 1945 est une histoire «typiquement allemande» comme il est dit dans l’article. Et comme dans toute transmission familiale, chaque génération s’empare de son histoire comme elle le peut, en essayant de vaincre les tabous qui persistent, afin d’écrire les chapitres suivants le plus librement possible.

Myriam Levain

Leur patient préféré : Psychanalyse et héritage familial

La journaliste Violaine de Montclos a demandé à des psychanalystes de choisir leur patient préféré et de raconter la thérapie qu’ils ont suivie et qui a bouleversé parfois leur propre pratique. Un livre passionnant qui questionne la place de nos héritages familiaux. 

C’est un recueil de 17 nouvelles qui met en scène deux personnages principaux, le psychanalyste et le patient. On passe d’histoire en histoire, de vie en vie et de “cas” en “cas”. Et dans ce jeu de miroir et de transfert qui se met en place, on découvre un fil conducteur, celui de l’héritage familial. L’héritage familial, presque comme socle primitif de la pensée psychanalytique. Et si tout, nos vies, nos constructions, nos échecs prenaient racine là, dans nos histoires de famille ?

Pour le patient, cet héritage reste inconscient, inaccessible, il est encore non révélé. La transmission devient une formule magique prononcée sur le berceau, qui l’entraîne dans un destin parfois tragique dont il n’a pas la maîtrise.

Le petit Martin, obsédé par le chiffre 46 qui est à la fois l’année de décès de son grand-père et de naissance de sa mère. Gretel dont le poids d’un secret familial pèse sur les jambes de sa petite fille qui ne peut plus marcher et Laure coincée dans l’exil de sa mère. 

Pour le psychanalyste, qui a déjà fait cette quête des origines et qui en connaît le sens, son héritage familial devient une boussole, un point de repère qui va servir le transfert pour accompagner le patient dans sa propre recherche et changer ainsi son destin.

Enfin, pour le lecteur, qui à travers l’écriture de Violaine de Montclos assiste au dévoilement de ces doubles histoires qui se répondent, une interrogation s’ouvre. Et si tout prenait racine là, dans nos histoires de famille ?

Leur patient préféré, Violaine de Montclos, Editions Stock, 2016

Elisa Azogui-Burlac

Une histoire de famille juive tunisienne

Je me suis toujours définie comme une séfarade freudienne. Il faut que j’ajoute Freud, un bon ashkénaze, et donc le travail de psychanalyste de ma mère, pour justifier mon identité séfarade. C’est comme un nom de famille, que je compose pour le rendre plus noble : “Ne vous méprenez pas, le nom ne fait pas le rabbin!”  Slama Freud, ça sonne quand même mieux que Slama tout court.

Elle est d’ailleurs là, l’histoire tunisienne de ma famille, dans cette particule invisible, dans ce récit qui nous anoblit et qui nous différencie des autres séfarades: les juifs d’Afrique du Nord contre lesquels on m’a mise en garde depuis que je suis enfant. Une injonction compliquée pour la juive d’origine marocaine et tunisienne que je suis…

Ils se sentaient si français, ceux de ma famille tunisienne. De leurs prénoms jusqu’à leurs engagements, ils avaient les codes de la bonne bourgeoisie française.  Dans mes yeux d’enfant, je les voyais d’ailleurs comme ça, des bourgeois. Les images de leur arrivée à Sarcelles et de leur petit appartement proche de la gare du Nord, s’étaient effacées derrière notre récit familial. 

C’est en cela que le travail de mémoire ressemble au travail psychanalytique. Je n’allais pas abandonner Freud si facilement! En interrogeant ma famille sur son histoire et sur mes grands-parents, que j’ai peu connus, je bouscule mes représentations, je les dé-construis et je change le décor de ma mémoire que je confronte à la grande Histoire, celle de la colonisation au Maghreb et de l’immigration des juifs d’Afrique du Nord en France dans les années 60. 

Le roman familial

Selon le roman familial, mon grand-père, Roger Slama, était le plus bel homme de Tunis. Moitié grana, moitié berbère, il avait étudié au Lycée Carnot et avait reçu une éducation française classique. C’était aussi l’un des fondateurs d’un cabaret nommé le Phalène. Il voulait être acteur, il en avait la beauté, il deviendrait avocat. 

En 1941, il fuit la Tunisie pour échapper aux camps de travail forcé et rejoint De Gaulle et la résistance à Londres, où, selon ses dires, il poursuit surtout sa “vie de cabaret” entouré des femmes sans hommes, alors mobilisés. 

Après la guerre et un premier mariage, il épouse ma grand-mère Nelly Sarfati, la plus belle femme de Tunis, qui, amoureuse, lui avait écrit des lettres tous les jours depuis son départ à Londres. Vous allez dire que j’exagère, que je fais la “tune”, mais c’est la vérité, les photos attestent de leur beauté.

Nelly vient d’une famille de juifs tunisiens traditionnels et aisés, marchands de tapis au souk de Tunis. Comme le raconte mon oncle, le père de Nelly, Fraji sur les papiers officiels que j’ai retrouvés plus tard, était “presque rabbin”. Il priait tout le temps, surtout depuis qu’il avait perdu son fils aîné pendant la guerre, tombé malade alors qu’il était en camp de travail. Il interdit à ses filles de s’instruire et à Nelly de passer le baccalauréat car selon lui, aucun homme n’épouse une femme cultivée. 

Des années plus tard, en épousant mon grand-père Roger, ma grand-mère Nelly change de statut. Elle abandonne l’arabe qu’elle parle avec sa famille mais qu’elle ne parlera jamais avec ses enfants, et devient française, puisque Roger a été naturalisé en 1936. 

Avant d’émigrer en France, ils vivent avenue Kléber, au coin de la rue Lafayette dans un grand appartement. Mon grand-père est devenu magistrat français, mais après quelques années, il a été détaché au Tribunal de Tunis. 

De son enfance en Tunisie, ma mère me raconte ses balades au Saf Saf à la Marsa, mon oncle et ma tante, le sentiment de liberté qu’ils avaient, à vivre dehors, au soleil, entourés, les grands repas de famille avec les frères et sœurs de Nelly, les trois mois d’été dans la maison sur une plage proche de Carthage. 

La France

En 1962, c’est le départ pour la France. Le contrat de mon grand-père en Tunisie n’est pas reconduit, suite à la guerre d’Algérie selon ma mère. Il est français, travaille en France, il faut partir. Pour Roger, c’est un départ sans nostalgie. Lui qui se sent français avant tout, est heureux de rejoindre Paris, la ville des sept paradis comme il l’appelle, faisant référence aux sept champs de courses de la capitale.

Du départ, ils n’en parlent pas entre eux. C’est dans l’ordre des choses. Ce qui les marque par contre, c’est Sarcelles. Ils pensent rejoindre un Paris fait de dorures, les voilà pour trois ans dans un Sarcelles en construction. C’est l’hiver 62, un hiver terriblement froid dont les immigrés se souviennent. Ma grand-mère tombe alors dans une grande dépression.  Elle, si coquette et sophistiquée, se laisse aller. 

Ma mère, qui a 9 ans à son arrivée en France, me raconte qu’à ce moment-là, elle développe elle-même la phobie des ponts qui s’effondrent quand elle prend le train. Je trouve l’image intéressante, y a-t-il des exils, des passages de ponts d’un pays à un autre, sans effondrement? Nelly ne retournera jamais en Tunisie, le pont s’est bien effondré. 

Ma mère vit une vie parisienne, au rythme de l’après-Mai 68. Elle se marie finalement avec un juif marocain, une déception pour ses parents, qui voulaient l’assimilation à tout prix. Pour sa famille, le judaïsme n’est plus vraiment leur problème. D’ailleurs, ils ne parlent jamais de mon grand-père sans évoquer son athéisme militant. Quant à la Tunisie, c’est un paradis perdu d’avance. Mais l’injonction de devoir être une séfarade différente des autres est restée. 

Ma mère se marie d’ailleurs plus tard avec un juif français, un Marx.  À la fin de notre entretien, elle me dit fièrement, “mes parents auraient été contents que je sois avec un Marx, même s’il est juif”. La particule est ajoutée, fin de l’histoire vous me direz ?

Mais l’histoire ne s’arrête pas là, heureusement! Elle passe par moi, par ma génération et les suivantes. La transmission nous donne ainsi un droit de regard sur la mémoire. C’est une autre époque et je ne cherche plus à composer mon nom ou à composer avec mon nom. Et Freud n’y est d’ailleurs pas pour rien.

Elisa Azogui-Burlac

Olivia Ruiz en quête d’Espagne

C’est un exil que l’on connaît mal mais qui concerne pourtant des milliers de familles françaises: celui des antifranquistes ayant fui l’Espagne dans des conditions dramatiques au moment de la guerre civile en 1936. Cet héritage est celui de la chanteuse Olivia Ruiz, dont elle s’empare pour la deuxième fois avec son roman paru au printemps, Écoute la pluie tomber. Dans son premier livre, La commode aux tiroirs de couleur, elle retraçait déjà la vie de sa grand-mère espagnole réfugiée, à travers un dialogue entre les générations, celles qui sont parties et celles qui sont nées ailleurs.

Les épreuves que son aînée a surmontées, de la traversée clandestine des Pyrénées à la perte de ses parents assassinés, en passant par les petits boulots pour survivre et l’apprentissage d’une langue totalement inconnue, sont celles que connaissent toutes les personnes exilées, et qu’elles transmettent plus ou moins bruyamment à leur descendance. En cela, les mots d’Olivia Ruiz résonnent forcément chez beaucoup d’entre nous.

Myriam Levain

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