Non, une biographie n’est pas posthume !

Il y a une crainte chez les personnes qui commandent la biographie d’un de leurs proches. Ils sont gênés. Ils n’osent pas leur parler tout de suite du projet. Ils reculent un peu avant de se décider. Ils cherchent par exemple le “bon moment pour en discuter”.

Derrière ces réticences, il y a la peur : en disant à l’autre “Transmets-moi ton histoire”, ils ont le sentiment de lui demander d’écrire son épitaphe. Ils se réfèrent à un futur où l’autre ne sera plus et cette démarche semble ouvrir une discussion sur la mort prochaine de la personne.

Comme si cette parole “Transmets-moi ton histoire” était performative et conduisait directement à cet “avant qu’il ne soit trop tard”qu’ils ont en tête. Comme si, finalement, la transmission ne pouvait se faire que du mort au vivant, que la mémoire ne pouvait s’écrire qu’au passé.

Alors bien entendu, dans tout travail de mémoire et de transmission, il y a l’idée de laisser une trace plus longue que nos lignes de vie. La biographie n’y échappe pas. Mais écrire une biographie n’est pas un projet posthume et chaque histoire que nous avons entendue nous conforte même à penser le contraire. C’est du vivant au vivant que se transmettent les plus belles histoires.

Le regret de nombreuses personnes que nous avons enregistrées est justement de n’avoir pas assez questionné leurs proches quand ils étaient plus jeunes. D’avoir été passifs dans cette transmission inter-générationnelle et de ne pouvoir compter aujourd’hui que sur leurs souvenirs pour transmettre à leur tour.

“J’ai le sentiment d’avoir été injuste, de pas avoir été suffisamment présent avec mes grands-parents, de ne pas avoir accordé suffisamment de place à mes parents quand c’était possible, ça me torture car c’est irrémédiable, c’est irréversible.”

Effectivement, cette parole “Transmets-moi ton histoire” est performative. Elle ouvre une nouvelle conversation avec l’autre, elle délie et délivre de certains enjeux familiaux, elle dit à l’autre “J’accepte ton récit ». Elle engage ainsi un nouveau dialogue, qui n’est d’ailleurs  jamais trop tôt à avoir.

Elisa Azogui-Burlac