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La rentrée scolaire fait partie des moments qui rythment une année, qu’on soit encore à l’école ou pas, qu’on ait des proches qui le soient ou pas. C’est le temps des énergies nouvelles et des bonnes résolutions, et peut-être la période adéquate pour lancer les projets qui ont mûri ces derniers mois. Raconter l’histoire de sa famille n’est pas toujours une décision facile à prendre : il faut vouloir se confronter à certains silences et certains tabous, admettre que le temps file, il faut parfois se mettre d’accord avec beaucoup d’autres gens, il faut avoir du temps pour le faire soi-même, ou bien des moyens pour déléguer cette tâche à une tierce personne.
Chez Milim, nous le savons bien : démarrer une biographie familiale est souvent un long processus. Mais force est de constater que la quête des origines est omniprésente, elle est sans doute l’un des grands marqueurs de notre époque ; en témoigne la rentrée littéraire, qui comme l’année dernière, est truffée de livres consacrés à la transmission et à la famille. Et si le fameux déclic se trouvait entre toutes ces pages, dont nous avons fait ici une courte sélection ? Bonne lecture et bonne rentrée !
Elisa Azogui-Burlac et Myriam Levain

Il est 14h, ma robe est mouillée par mon maillot de bain que je n’ai pas changé en remontant pour le déjeuner. Je vois le soleil se refléter sur la mer, sous le volet à moitié descendu de la baie vitrée. Il fait encore trop chaud pour redescendre à la plage et j’aurais bien fait une sieste mais je suis venue quand même la voir.

Nicole est assise dans son fauteuil, elle tourne le dos à la fenêtre, c’est pour ses yeux, elle voit mal maintenant et elle a même gardé ses lunettes de soleil. Elle porte une robe qui fait plus jeune qu’elle mais dont on ne devine plus la forme. Son appartement semble figé dans un temps ou le vert et le orange étaient à la mode. Il y a toujours quelque chose de désuet, de laissé pour compte, dans les appartements des personnes âgées. Comme si tous les objets qui ne servent plus à rien ni à personne s’étaient arrêtés eux aussi. Il y a bien quelque chose qui s’arrête dans la vieillesse. 

Je sais d’ailleurs qu’elle va commencer par se plaindre de son âge : « J’ai 95 ans, c’est quelque chose”. Puis elle se plaindra des autres qui ne la comprennent plus, tous ces gens que je ne connais pas mais dont les prénoms me sont devenus familiers au fil des années. 

Je connais aussi par cœur  les mots qu’elle va utiliser. Les “à quoi bon”, les “je me demande bien ce que je fous encore là”, les “que veux tu ?”. Elle va faire le tour de ses morts et utiliser toutes ces expressions funèbres qui lui tirent pourtant ce sourire enfantin au coin des lèvres. Elle me regarde complice, je souris. Elle sait très bien que la mort n’est pas pour elle, pas tout de suite, mais il faut bien la flatter si elle veut qu’elle la laisse tranquille !

Je passe voir Nicole tous les jours quand je suis à Palavas-les-Flots. J’ai découvert Palavas quand ma mère s’est remariée, car mon beau-père a un appartement avenue Saint-Maurice, qui donne directement sur la plage. “Il n’y a même pas une route entre la plage et notre résidence, ça n’existe plus ça”, répète-t-il fièrement quand il parle de l’investissement immobilier de sa famille qui a acheté le terrain quand la mairie a décidé d’assécher les marais. 

Nicole, dans cette vie palavasienne où le soleil se couche sur les marais et se lève sur la mer, est devenue mon rituel quotidien. J’ai toujours aimé parler avec les personnes âgées. Je ressens pour eux une empathie presque obsessionnelle. Je me sens poursuivie par une obligation de m’occuper d’eux, de leur plaire et de leur faire plaisir. Je suis précautionneuse avec la vieillesse, je prends des pincettes avec elle et j’y mets beaucoup de culpabilité. J’ai toujours peur de blesser en montrant des désirs qui font partie de ma jeunesse et qui me détournent d’eux, de leur place de spectateurs passifs d’un monde qui tourne. Alors j’arrête de tourner, je m’assigne à leur résidence. 

Et depuis plus de 10 ans, c’est chez Nicole que j’ai fait ma résidence, le matin avant la plage, à l’heure de la sieste et de temps en temps après la douche. Je la retrouve désormais souvent quand elle est couchée dans son lit. Elle a froid. En même temps, 95 ans c’est quelque chose. C’est toujours quand elle est dans son lit que je l’enregistre, elle se tient toute droite, les mains sur son ventre souvent douloureux. Je remarque qu’elle ne bouge jamais quand elle est allongée, il y a bien quelque chose qui s’arrête dans la vieillesse.

Mais sa tête à Nicole ne s’est pas arrêtée, c’est pour ça que j’ai décidé de l’enregistrer cet été là. J’adore les anecdotes de Nicole mais ce que je préfère c’est être là quand elle les raconte. Elle redevient actrice. Tout se remet en mouvement. Je la vois petite fille aimée par ses parents prendre le bus dans des patelins perdus d’Alsace, jeune fille sur son vélo fuir les bombardements, jeune femme amoureuse et teigneuse dans le restaurant familial de Montpellier. Tout est là, dans sa voix, dans ses regards, dans son sourire. Elle reprend corps quand elle raconte le passé et son passé existe sous mes yeux. 

Nicole m’a ouvert les portes de la mémoire. J’avais commencé un travail sur ma famille grâce auquel j’avais interrogé mes parents et utilisé des enregistrements de ma grand-mère qui chante en arabe. Je voulais aller sur les traces de mon héritage mais j’étais ancrée dans le présent. Je cherchais à répondre à des questions sur ma génération, ma quête identitaire, sur ce que je pouvais transmettre. J’étais allée trop vite, j’avais pris des raccourcis. J’ai compris plus tard que le chemin que je traçais était bien plus complexe.

Nicole m’a amenée à la grande Histoire et aux destins juifs qui s’y confrontent sans cesse. Elle a peut-être été la première grand-mère que j’ai pris le temps d’écouter, de garder avec moi pour réunir ces moments qui restent d’une vie entière, comme des pièces de puzzle que j’assemble pour former une mémoire. J’étais arrivée trop tard pour une partie de puzzle avec mes grands-parents, mais elle allait être le début de nombreuses rencontres et de mon pèlerinage à travers le passé des autres.

Elle ne me donne pas sa date de naissance. Elle me répète son âge, ses 95 ans, mais sa date de naissance je sens qu’elle la garde pour elle. Ou peut-être qu’elle ne s’en souvient pas. De toute façon, je ne suis pas trop à cheval sur les dates, je laisse le droit à l’oubli. Ce n’est pas ce que je viens chercher dans la mémoire des autres. Moi ce qui m’intéresse, c’est ce qui reste des souvenirs, des émotions, je cherche les expressions qui se répètent et qui me permettent de toucher à l’intime dans lequel se dévoile toujours l’universel. 

Ce podcast a été enregistré en 2019 et Nicole est décédée en 2022 mais sa voix et son récit résonnent toujours.
Elisa Azogui-Burlac

Sur le moment, elles nous paraissent parfois interminables, qu’on soit un enfant en proie à l’ennui ou un parent épuisé. Pourtant, pour celles et ceux qui ont la chance de partir chaque été, les vacances restent souvent les souvenirs d’une vie, qu’on se remémore avec tendresse des années ou même des décennies plus tard. Parce qu’elles sont des moments hors du temps, mais aussi parce qu’elles sont des parenthèses familiales, les seules qui nous sortent de la routine de l’école ou du boulot. Pourtant, elles ne sont pas toujours idylliques, loin de là : combien de couples divorcent au retour de leurs congés ? Mais le passage du temps semble recouvrir nos souvenirs d’une couleur sepia, trahissant la réalité pour n’en garder que le meilleur.

Les tas de photos que nous nous apprêtons à prendre cet été en ce siècle Instagram viendront nourrir nos récits familiaux, et nous en redessinerons sans doute quelque peu les contours au fil des ans. Mais après tout, un souvenir se doit-il d’être absolument fidèle à ce qui s’est passé ? La mémoire est mouvante, elle nous accompagne à chaque âge. Qui sait ce que nous raconterons de nos albums 2023 dans 10, 20 ou 50 ans ? L’été arrive et nos souvenirs vont bientôt se fabriquer… Bonnes vacances !

Elisa Azogui-Burlac et Myriam Levain

C’est un exercice d’équilibriste que de recueillir un témoignage biographique. Il faut en dire le maximum, mais il ne faut pas non plus en dire trop -en tout cas rien que ne pourrait regretter le ou la principale intéressée. Et il ne faut surtout pas en dire trop peu. Comment restituer la vérité d’un être qu’on vient de rencontrer ? Comment entrer dans l’intimité de familles qui ne sont pas les nôtres tout en restant à notre place de « passeuses » de parole ? C’est sur ce fil que nous marchons chez Milim, quand nous interrogeons vos proches pour en faire un podcast et un livre à transmettre à leur famille.

Nous vivons des moments intenses avec ces personnes dont nous recueillons le témoignage : il n’est jamais anodin de revenir sur les instants forts d’une vie, qu’ils soient heureux ou malheureux. Le temps de quelques entretiens, nous devenons des confidentes, des psys d’un jour ou bien des accoucheuses d’anecdotes enfouies dans les recoins d’une mémoire. Ce sont précisément ces moments qui rendent chaque parcours unique, et qui justifient que chaque vie soit racontée. C’est une grande joie pour nous de vous aider à construire ces récits, même s’il ne nous est pas toujours facile de décrire à quoi ressemblent nos journées de travail. C’est peut-être aussi bien comme ça : de cette alchimie mystérieuse naît la transmission de vos histoires. 

Elisa Azogui-Burlac et Myriam Levain

Notre tout nouveau podcast Milim est un projet qui nous tient particulièrement à cœur puisqu’il s’agit de raconter une partie de l’histoire de la Shoah en France pour la transmettre aux nouvelles générations. Pour réaliser Le récit inédit du sauvetage des archives de la Shoah, nous nous sommes plongées dans l’histoire du Mémorial de la Shoah, situé dans le quatrième arrondissement de Paris et devenu un lieu incontournable de la mémoire. Si nous sommes beaucoup à en connaître le Mur des Noms où figurent quasiment toutes les personnes juives déportées depuis la France, peu d’entre nous connaissent la genèse de son centre d’archivage, en plein chaos de la Deuxième Guerre mondiale.

Ecouter notre série de podcasts

En trois épisodes réalisés et montés par nos soins, mixés par le formidable Kevin O’Leary qui en signe également la musique, nous vous racontons le destin incroyable des personnes qui ont permis de collecter des documents rares et décisifs dans l’histoire du XXème siècle. Serge Klarsfeld nous raconte par exemple comment il a retrouvé l’original du télex d’Izieu qui a permis de faire condamner le nazi Klaus Barbie lors d’un procès devenu célèbre. Parce que les derniers témoins de cette page d’histoire sont en train de disparaître, il est plus urgent que jamais de partager les récits de la Shoah, et le podcast est en cela un média parfaitement adéquat. Merci à Flavie Bitan, du Mémorial de la Shoah, de nous avoir confié ce récit, qui, on l’espère, vous procurera autant d’intérêt à l’écoute qu’il nous en a procuré à la réalisation.

Elisa Azogui-Burlac et Myriam Levain

 

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Nous y avons pensé depuis le jour de notre rencontre et nous l’avons enfin fait: notre podcast La vérité si je mens plus, consacré à l’identité séfarade dans ses mille nuances, est enfin en ligne! Pour le premier épisode, nous avons reçu le dessinateur Joann Sfar qui est revenu pour nous sur son histoire juive algérienne, celle qui a inspiré le décor de son célèbre Chat du Rabbin, et dont il évoque la transmission dans La Synagogue. Ensemble, nous avons évoqué la mémoire millénaire des juifs en terre méditerranéenne, un héritage pas toujours aussi joyeux que les stéréotypes ne le laissent entendre.

Joann Sfar : « On apprend à être fier de l’identité séfarade »

C’est pour offrir un espace à ce judaïsme à la fois familier et méconnu que nous instaurons ce rendez-vous mensuel, en partenariat avec RCJ, disponible sur toutes les plateformes d’écoute. Après l’Algérie, c’est la Tunisie qui sera à l’honneur dans notre prochain épisode, où nous recevrons l’autrice Michèle Fitoussi, qui publie La famille de Pantin, un roman dédié à son bagage juif tunisien. À écouter et à partager!

Elisa Azogui-Burlac et Myriam Levain

 

« À l’ écoute » est le podcast de la Fondation Casip-Cojasor, produit et réalisé par Milim. Ce rendez-vous mensuel vous permet de découvrir les coulisses de la Fondation à travers les voix des personnes qui la font vivre.

Ce premier épisode retrace l’histoire du Casip-Cojasor depuis sa création au début du 19ème siècle, en même temps que le Consistoire. L’historienne Laura Hobson-Faure revient sur les moments-clés de la philanthropie juive française, notamment l’accueil des réfugiés d’Europe de l’Est, l’aide humanitaire après la Shoah ou encore l’accueil des exilés séfarades. La directrice générale du Casip-Cojasor, Karène Fredj, et le directeur de la communication et du fundraising, Laurent Dorf, détaillent les grandes lignes de l’action de la Fondation Casip-Cojasor aujourd’hui.

Elles sont là, au fond d’un tiroir ou d’une boîte à chaussures, et nous ne pensons même plus à les regarder. Elles font partie des meubles, ces photos de nos aïeux que nous n’avons pas ou peu connus, dont nous ignorons la vie, les traits de caractère, les petits bonheurs, les espoirs et les illusions perdues… tout ce qui jalonne une existence.

Et pourtant, sur le papier glacé, leur visage est à portée de main, il nous semble qu’il nous parle et nous passe un message venu d’un autre temps. Nous sommes tenté·es d’interpréter une ressemblance physique ou un regard rieur quand, au contraire, une mine sombre paraît porteuse d’une mauvaise nouvelle. Parfois, en second plan apparaît un paysage inconnu ou un lieu familier. Les tenues, elles aussi, nous disent quelque chose de l’instant immortalisé, d’une époque, d’un milieu social ou d’un pays.

En partageant sur nos réseaux vos archives familiales, vous redonnez vie à ces parents plus ou moins lointains, et vous nous aidez à composer une mosaïque d’archives individuelles qui forment quelque chose de plus grand. Des petites histoires qui font la grande.

Elisa Azogui-Burlac et Myriam Levain

Lorsque nous parlons de notre activité chez Milim, nous nous entendons répondre régulièrement: «Je n’ai rien à raconter», «L’histoire de ma famille n’est pas intéressante», «Chez moi, il ne s’est rien passé d’incroyable», «Le récit de ma vie ne fera que quelques pages»… Beaucoup de gens croient qu’il faut s’appeler Winston Churchill ou Michelle Obama pour rédiger ses mémoires. Pourtant, il suffit de quelques minutes de discussion pour découvrir que chaque famille, même la plus banale en apparence, a vécu son lot d’aventures, de vaudevilles ou de drames, dont l’écho se transmet de génération en génération, sans que l’on n’arrive toujours à poser des mots dessus. Des vies qui, bien sûr, méritent d’être racontées, sur davantage que deux ou trois pages.

Avec nos témoignages biographiques sonores et écrits, nous proposons de vous accompagner dans ce processus, en interviewant vos proches, vos ami·es, vos collègues, et en en fabriquant un podcast et un livre. Si la démarche s’avère enrichissante pour les personnes que nous interrogeons et leur entourage, elle l’est tout autant pour nous, qui découvrons, au fil de l’échange, un parcours riche de rencontres, d’interrogations, de joies, de peines, de hauts, de bas, de succès, d’échecs. La vie, en somme. Entrer dans l’intimité de quelqu’un, c’est découvrir des choix qui auraient pu être les nôtres ou ceux de nos parents, qui le sont d’ailleurs parfois, c’est à la fois se projeter et écouter. Quelle que soit notre origine et notre trajectoire, nous faisons face aux mêmes questionnements, et c’est ce que nous découvrons chaque jour en travaillant chez Milim. L’intime est universel, on ne le répètera jamais assez.

Elisa Azogui-Burlac et Myriam Levain

Quand j’ai terminé le Tome 5 de l’arabe du Futur de Riad Sattouf, je me suis demandée comment j’allais attendre la suite. Comme une folle, je me suis mise à faire des recherches sur internet, à parcourir les biographies de Riad, à lire toutes ses interviews, et à regarder les vidéos dans lesquelles il intervenait.

Je voulais continuer mon chemin avec cet enfant blond et chétif qui dessine si bien, avec cet ado maladroit qui n’y arrive pas vraiment. Je voulais repartir en Bretagne chez sa grand-mère, j’avais peur pour lui, pour son frère, peur de son père et j’appréhendais qu’il retourne en Syrie avec lui.

Riad Sattouf réussit ce tour de force en ne parlant que de lui et de son enfance, à nous renvoyer constamment à nous-même. L’arabe du Futur soulève de nombreuses questions très profondes comme l’identité, la violence, la sexualité et les liens familiaux mais ces questionnements restent en suspens, ils ne se lisent qu’entre les lignes et deviennent finalement au long de la lecture des quêtes intimes du lecteur plus que de l’auteur lui-même. Ruez-vous sur le Tome 6 !

L’Arabe du futur, une jeunesse au Moyen-Orient (1978-2011) Riad Sattouf, Allary Editions, Novembre 2022

Elisa Azogui-Burlac